PORTRAITS DES MIENS

En partenariat avec la Roue Voilée, nous sommes intervenus au sein du Centre Hospitalier Spécialisé de Sevrey pour animer des ateliers de compositions de chansons en mai et juin 2022. L’équipe artistique était composée de Sidonie Dubosc, chanteuse et parolière, Morton Potash, pianiste et compositeur, Valérie Gaudissart, comédienne et parolière. Médéric Roquesalane était chargé de la coordination, du matériel et de l’installation technique et de garder une trace photographique du projet. Nous avons travaillé et organisé ce cycle en lien avec une équipe soignante.

En introduction aux ateliers, un concert solo de Sidonie Dubosc, appelé «Portraits des miens» a été proposé aux patients. Ce récital de chansons originales, dessinant en musique et textes des portraits poétiques des membres de sa famille a permis de présenter la proposition artistique faite aux patients: composer pour et avec eux des chansons et des textes qui évoquent les êtres qui leur sont chers, et auxquels il serait peut-être bon de dire des choses. Des chansons et des textes qui évoquent les liens aux proches, qu’ils soient vécus de manière positive, négative, toxique, morbide, manquante, et qu’il s’agisse de liens qui soutiennent, de liens qui font mal, de liens qui enchaînent ou empêchent.

Une quarantaine de patients sont venus travailler avec les artistes, certains sur toute la durée de leur résidence, certains sur la durée de leur propre hospitalisation qui s’est terminée avant la restitution finale. Une bonne vingtaine d’autres patients sont venus assistés aux travaux des autres durant les ateliers.

Une quarantaine de chansons ou slams ont été composés. 38 en tout ont été chantés lors de la restitution publique qui a duré deux heures.

La méthode des artistes a d’abord consisté à s’adapter aux troubles psychiques et au jaillissement dans le moment présent des expressions et des désirs des patients. Leurs ateliers prenaient donc l’allure de performance musicale pendant lesquelles tout ce qui pouvait être capté, écrit se voyait déjà et très rapidement transformé par un accompagnement musical. Il y a donc eu des improvisations, qui ont par la suite été gardées et il y a eut aussi beaucoup de choses plus élaborées et composées par les artistes en dehors des séances et rapportées aux patients à la séance suivante. Certains patients ont écrit des textes tout seuls, d’autres ont raconté des choses à partir de consignes proposées par les artistes et notées et mises en forme par eux. D’autres textes et chansons ont été écrits par les artistes à partir des ressentis ou des bribes d’informations qu’ils sont arrivés à saisir des personnes.

En tout cas, chacun des participants s’est emparé de son histoire, de ses compositions, les a faites siennes, les a enregistrées, les a répétées et les a revendiquées sur scène et ce jusqu’au bout. Parmi toutes les créations, il y eut quelques styles différents: chansons mélodiques, slam, rap électro.

Ce travail artistique a été du point de vue des artistes très intense, vivant, et a dépassé leurs attentes en terme de nombre de compositions, d’engagement, fidélité sincérité et progrès des patients, en terme d’évolutions et de transformations visibles de certains d’entre eux et de liens détendus et confiants entre patients et artistes.

Quelques extraits de textes,
quelques traces de ces intenses journées

V.et sa chanson adressée à ses enfants, « dans le miroir »

Je ne veux pas vous faire de mal
Je vous ai tant désirés
Je voudrais vous protéger de l’autre qui se cache en moi
Celle qui crie, celle qui claque les portes
Celle que je hais quand je la vois dans le miroir
Celle qui me regarde et sort de mon corps et me prend à la gorge
Celle qui parfois me rappelle ma mère
Ma mère qui m’aurait préféré garçon
Et qui avait plus besoin d’une amie que d’une fille
Ma mère parfois si dure


F. et son texte sur sa mère

Je pense à des personnes sacrées
Mon grand-père, je l’ai pas connu
Mon père, je l’ai pas connu
Ma mère, je l’ai connue
Et je la pleure tout le temps
Je la pleure dans mon cœur
Ma mère parasol qui me protège de tout
Ma mère qui n’aime pas que je me ridiculise
Ma mère qui est dans une zone rouge
Je suis un poids pour elle, je suis lourd pour elle
Ma mère, c’est comme un horizon
J’ai dans la tête une calculette qui pleure
Tout tombe au bord du clavier quand je pleure
Les termites continuent de grignoter


L. et la chanson sur le deuil de sa mère

Je chante pour toi maman
Je te vois dans les étoiles
Pardonne-moi maman
Maman chérie je rêve de toi chaque nuit
Mais quand je me réveille tu n’est plus là
Tout le temps je pense à toi,
Je pense à toi tout le temps (X2)
j’ai bien du mal à vivre
maman, tes éclats de rire me manquent
je suis désolée de t’avoir frappée
mon cœur pleure sans s’arrêter, pleure sans s’arrêter
Tout le temps je pense à toi,
Je pense à toi tout le temps (X2)


G. et la chanson sur sa fiancée regrettée:

ma fiancée
on aurait dû se marier
mais tu es décédée
tu n’es plus de ce monde
et mon monde est chamboulé
je pense toujours à ce que tu m’as donné
des kebabs, un zipo, une chaîne en or, une bague de fiançailles
4 années de bonheur
et moi je t’ai donné mon cœur
je t’ai donné mon cœur (impro)


M. et son slam pour sa grand-mère

J’ai écrit une chanson pour toi Mémé
tu es une mamie formidable
tu es la femme de ma vie Mémé
tu nous as quittés
tu es partie rejoindre le paradis 
je pleure tous les soirs pour toi Mémé
je regarde les photos tous les soirs
tu es dans mon cœur pour toujours
Mémé
C’est dur pour toute la famille
ta mort m’a fait péter les plombs Mémé
car avant ta mort je te faisais souffrir
avec mes crises de nerfs Mémé
Je t’ai tapée Mémé
je t’ai insultée
je t’ai menacée avec un couteau
je m’excuse Mémé de t’avoir fait ça
de t’avoir fait du mal
J’ai trop mal au cœur de t’avoir vu pleurer, Mémé


Il y a eut aussi l’évocation de l’enfance, ses bons et ses affreux souvenirs, transformés en slam

F. et ses souvenirs

Dans mon enfance, il y avait Papa qui roulait en scooter avec moi derrière accroché à sa taille
Il y avait les vols dans les réserves d’Intermarché que ma mère m’obligeait à faire
Il y avait les parties de pêches à la truite au lac des sapins
Il y avait moi qui travaillais dans les jardins et qui coupais du bois de chauffage
Il y avait moi qui ne suis pas allé souvent à l’école
Il y avait moi qui a essayé de tuer Papa à coup de hache parce que Papa tapait Maman
il y a eut ma première cigarette à 10 ans
il y avait des bagarres
il y avait moi qui dormais dehors dans des maisons à l’abandon
il y avait deux grandes sœurs, quatre petites sœurs, et moi le seul garçon coincé au milieu
il y avait les copains du quartier
il y a eut le foyer de bonnes sœurs à l’âge de 6 ans
il y avait des parties de pétanque avec Papa
il y a eut mon premier Ricard
il y avait des flocons de neige et des bonhommes de neige avec les nez en carotte
il y avait des coups de fouet avec des orties
il y avait les rails du chemin de fer
dans mon enfance, il y avait Papa, car
Avant d’être mort, papa était vivant
Avant d’être absent, papa était présent
et avant d’être orphelin, j’étais un enfant


Ceux de M. transformés aussi:

Mon nom signifie en hébreu
sourire de Dieu
moi je me nomme Chaos
pourquoi ? C’est simple et difficile à la fois
tout ce que je fais est toujours, toujours imparfait
même une fois né
mes parents au lieu de ressentir une joie innée
M’ont rejeté bien évidemment
toute ma vie, j’ai cherché mon Nord
mais c’est fini
maintenant tout ce à quoi j’aspire c’est la mort
le seul moment où je ressens des sentiments
C’est quand j’entends des chants
et ça fait en moi des ébullitions
ça fait en moi des émotions
le bonheur, maintenant me fait peur
C’est bête mais je n’ai plus l’habitude
de ressentir autre chose d’autre que du dur


Les souvenirs de C. là aussi transformés en texte slamé

Dans ma vie j’en ai bavé
j’ai été martyrisée
je me suis élevée toute seule
J’ai été bousculée de foyer en foyer
de famille en famille
ma mère m’a attachée
punie de manger
puis mon premier bébé : mort né
puis mon deuxième bébé : abandonné
trop jeunes
la vie était triste
Dans ma vie j’en ai bavé
j’ai été martyrisée
je me suis élevée toute seule


Il y eut aussi des chansons et des textes sur le rapport à la maladie psychique et à l’hôpital. En voici quelques extraits:

E. et ses ressentis

Quand je suis né, ma mère avait peur que j’arrête de respirer
Elle me regardait dormir
Elle surveillait mon souffle
Puis j’ai grandi
Les médecins ont dit que j’avais de l’asthme
Sensation d’évanouissement
Sensation d’étouffement
Puis j’ai grandi

Des fantômes de personnes décédées venaient me visiter
Des fantômes bienveillants qui me disaient des choses gentilles
Des fantômes venus de me protéger
Sensation d’être connecté à l’au-delà
Et sensation d’être normal, à ma place
Et que c’était le monde réel qui était décalé
Quand je suis né, ma mère avait peur que j’arrête de respirer


G. st ses souvenirs et ressentis

Dans mes poings fermés il y a la haine de mes parents divorcés
Dans mes poings fermés il y a le sang de dieu
Dans mes poings fermés il y a des larmes d’enfant battu
Dans mes poings fermés il y a des cigarettes consumées
Dans mes poings fermés il y a un pincement au cœur
Dans mes poings fermés il y a un enfant qui a piqué une crise de nerf
Dans mes poings fermés il y a Sevrey qui fiche ma vie en l’air
Dans mes poings fermés il y a une violence passée
Dans mes poings fermés il y a le bonjour du matin
Dans mes poings fermés il y a l’amour précieux
Dans mes poings fermés il y a des médicaments qui me font baver
Dans mes poings fermés il y a le viol qu’on m’a imposé quand j’avais 20 ans
Dans mes poings fermés il y a mon grand père alcoolique
Dans mes poings fermés il y a beaucoup de blessures
Dans mes poings fermés il y a l’amour précieux
Dans mes poings fermés il y a beaucoup de blessures


P. et sa clairvoyance

Poussière de l’univers
souvent le matin je rumine
pas prêt à ce que la vie se termine
j’ai l’impression de m’enliser
mes rêves fanent et je veux m’émerveiller
désolé madame, j’suis pas al
j’ai juré fidélité
dans un navire, je me suis embarqué
je perds pas le Nord pour pas dériver
tout petit face à l’océan, je me débats
je me bats et les hauts et les bas
de la houle
je reste solo, je me fonds dans la foule
avec le Seigneur de l’univers
on ne joue pas au poker
péchés cachés ou dévoilés au grand jour
en toi je place ma confiance
pour toi je cherche la science
je sors de mon insouciance
tout petit devant toi immense


S. et le désir de dépasser la maladie

dans mon histoire
20 ans de silence
et plein de secrets
et des histoires restées cachées
et moi cloîtré pendant 5 ans
dans les 4 murs
de ma chambre hantée
mais moi je voudrais la vie normale
et rattraper le temps perdu
et je ressasse et je ressens
le grand fracas
celui des bombes
celui de la peur
et je ressasse et je ressens
le grand chagrin
de mes parents
perdre les siens
dans l’enfer cambodgien
dans l’enfer vietnamien
mais moi je voudrais la vie normale
Et rattraper le temps perdu


A. et une amorce de désir

je m’appelle Allan, Allan avec deux L
avec deux ailes dans le dos
pour voler jusqu’au paradis
la vie sur terre, c’est pas tout le temps marrant
la vie, c’est dur
la vie, c’est long
la vie, c’est épuisant
Allan, Allan avec deux L
avec deux ailes dans le dos pour s’envoler loin d’ici
et vivre une nouvelle vie
dans un nouveau pays
où la vie serait moins dure
où la vie serait moins lente, 
moins épuisante
et moins violente


T. et la description de son rapport au temps:

voyage temporel
mettre mes pouvoirs au service de l’humanité
pas le choix sinon finir encore brûlé pendant des éternités
voyager dans le temps, ça a l’air d’une grâce
mais si je rattrape pas mes erreurs,
je vais encore finir meurtri dans le brasier
C’est finalement une sorte de peine capitale
ne désespère jamais de la miséricorde
avec quelques moments comme grasse mat’
sachant qu’après je suis condamné dans une image fixée à cette même date
où il n’y a pas d’autre moyen que de retourner dans un endroit d’où on ne ressort pas 
une erreur dans le présent du passé du futur
et c’est mort et trop fort


M. et le rapport à la famille, origine de bien des troubles

Ma vie est un puzzle à un milliard de pièces
De merde et de caca
Un jour j’ai dit merde à ma mère
Mon père m’a mis une calotte
Ça a fait bing !
J’aurais aimé tuer mon père et ma mère avec un coup de fusil
Mon père me disait: tu ne dois pas fumer
Je lui disais: tu ne dois pas boire
Un jour mon père m’a offert un peignoir noir
Le ciel n’est jamais totalement bleu


S. et le fait de se sentir perdue.

Je ne sais pas qui je suis
Je ne sais où je vais
Je suis perdue
Je t’ai rencontré un jour
Je t’ai apprécié, et je t’ai aimé, et je t’ai aimé
Je t’ai regardé, mon cœur a basculé
Avec tes 27 ans, tes yeux bleus attentionnés
Je n’ai pas su résister
On vivait dans une bulle où l’amour n’avait pas d’âge
Nous étions si bien
Mais il faut désormais tourner la page, tourner la page
Je ne sais pas qui je suis
Je ne sais où je vais
Je suis perdue
Je t'ai rencontré un jour
Et je t'ai perdu
Mais je t'ai aimé, mais je t'ai aimé


S. et la différence entre monde intérieur et le monde réel

à l’intérieur je renais
à l’extérieur je me vois loin
à l’intérieur il y a une poussée d’adrénaline
à l’extérieur il y a le néant
à l’intérieur il y a une pulsion de rire
à l’extérieur il y a une pulsion de tristesse
à l’intérieur il y a de la gentillesse
à l’extérieur il y a l’enrichissement
à l’intérieur il y a l’amour
à l’extérieur il y a la souffrance
à l’intérieur il y a l’esprit
à l’extérieur il y a le diable
à l’intérieur il n’y a pas de respect
à l’extérieur il y a la peur du monde
à l’intérieur il y a des cachets
à l’extérieur il y a la douleur
à l’intérieur il y a des gens heureux
à l’extérieur il y a le suicide
à l’intérieur il y a des gens qui veulent s’en sortir
à l’extérieur il y a des gens qui veulent en finir


Il y eut aussi des poèmes mis en musique et chansons.

Comme celui de A. «Jusqu’au bout de la nuit»

Jusqu’au bout de la nuit
à plusieurs millions d’années lumière de notre galaxie
plus loin que l’infini
se produit le miracle de la vie
les étoiles scintillent comme autant de paillettes
danse le ballet des exoplanètes
au sein de la voie lactée circulent des milliards de comètes
en découvrir fut un vrai casse tête
à la croisée des mondes
où s’écoule inexorablement chaque poignée de seconde
s’opère la symphonie des ondes
à la beauté du spectacle je succombe
et si un jour je croise des extraterrestres
alors je quitterai le paradis terrestre
et à bord de mon vaisseau spatial
j’explorerai le vide intersidéral
Jusqu’au bout de la nuit
à plusieurs millions d’années lumière de notre galaxie
plus loin que l’infini
se produit le miracle de la vie


Celui de J - P. sur ce qui fait son monde

Le vent s’en va, le vent revient Le vent s’en va, le vent revient
Dans mon cœur il y a du rose
Dans mon cœur il y a une force de vivre
Dans mon cœur il y a un grand vide qui parfois se remplit
Le vent s’en va, le vent revient
Le vent s’en va, le vent revient
Dans mon cœur il y a l’espoir d’un amour sincère
Dans mon cœur il y a des tremblements
Dans mon cœur il y a un chemin qui part dans tous les sens
Le vent s’en va, le vent revient
Le vent s’en va, le vent revient
Dans mon cœur il y a une place qui m’attend auprès des miens
Dans mon cœur il y a la saint vierge qui me donne du courage et l’envie de sortir, l’envie d’aller auprès des gens
Dans mon cœur il y a une bougie qui ne s’éteint jamais

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