En partenariat avec la Roue Voilée, nous sommes intervenus auprès des résidents de l’EHPAD du Centre Hospitalier du Clunisois d’août à septembre 2022.
Ce cycle d’ateliers artistiques était ouvert à une trentaine de résidents, dont la mobilité leur permettait de sortir de leur chambre. Au fil des séances et des rencontres, Sidonie Dubosc (chanteuse et compositrice), Valérie Gaudissart (parolière et metteuse en scène) et Morton Potash (pianiste et compositeur) ont écrit des chansons individuelles et collectives créées à partir des personnes et de ce qu’elles ont pu raconter ou faire comprendre par le non-verbal de ce qui leur fait ou leur a fait du bien (souvenirs, sensations, lieux, personnes, odeurs, goûts, paysages, couleurs…), ou les apaise. Un concert public pour tous les résidents, leurs proches et les soignants, restituant toutes les créations, s’est tenu à l’Hôtel Dieu de Cluny le 15 septembre.
Nous avions dans nos ateliers, comme dans tout Ehpad, des personnes ayant le langage et une certaine cohérence, des personnes mutiques, et des personnes désorientées. L’idée était de créer une activité de groupe mais qui fasse la part belle à chaque individualité et chaque histoire. Et de faire appel à la part émotionnelle et intime de chacun.e.
En plus des ateliers qui auront lieu en journée, seront proposés trois concerts en chambre et en couloir le soir à la tombée du jour. Ces concerts se veulent des expériences aussi bien pour les résidents que pour les soignants qui se verront là accompagner dans leurs missions du coucher, et de la tombée de la nuit.
Nous avons abordé lors de nos ateliers différents thèmes qui ont donné lieu à une vingtaine de textes et chansons, comme par exemple les mains, les gestes des métiers accomplis durant l’existence.
chansons composées avec les résidents
les mains de Robert, ancien vétérinaire :
Vous croyez que Robert est silencieux ? Oh non, il ne l’est pas. Il
parle très peu, on entend à peine le son de sa voix, mais Robert parle
avec ces yeux. Il vous regarde et c’est toute une conversation qui
s’installe, sur le sens de la vie, oui, sur le sens de la vie, sur la
vie et sur les êtres, tout ce qui nous entoure et nous émerveille.
Les mains de Robert
ont soigné, ont traité,
ont caressé, ont rassuré
des centaines d’animaux.
Dans ses souvenirs,
ils les entend qui respirent.
Il entend le bruit de leur sabot,
et il sent l’odeur des étables, l’odeur du foin.
Il revoit les prés, les champs,
les cours de ferme et les ruisseaux.
Il se souvient de la nuit dans les bergeries,
des naissances dans la pénombre,
des délivrances quand il fait sombre.
Il se souvient
qu’il se lavait les mains
au petit matin»
les mains des paysannes
Les mains de Lucie, les mains de Bernadette, les mains de Solange, les mains de Jeanne ont nourri des milliers de bêtes, des vaches, des moutons, des cochons, des poules, des chevaux.
Ont coupé les herbes hautes, ont ramassé les foins, engrangé les moissons, labouré l’argile, nettoyé les étables, transporté le fumier.
Le travail de Lucie, le travail de Bernadette, de Solange et de Jeanne a nourri les autres aussi,
a nourri les gens, des gens qu’elles ne connaissent pas, et qui ne savent pas tout ce que les mains de Lucie, les mains de Bernadette, les mains de Solange, les mains de Jeanne savent faire et doivent faire pour que dans leur assiette, ils trouvent un bon repas.
«Jeanne viens voir !»
Appelait son père
Et Jeanne accourait
Du matin jusqu’au soir
Jeanne, plus forte qu’un garçon
Plus rapide que l’hirondelle
Plus légère que l’oisillon
Plus joyeuse qu’un chaton
À travers les près
À travers la cour
À travers l’étable
Du poulailler jusqu’au grenier
De la grange au tas de fumier
Du champs de maïs au potager,
Jeanne court et court
Les bras chargés
La brouette, la pelle, le râteau,
la fourche, la serpette et la faux
«Jeanne viens voir!»
Appelait son père
Et Jeanne accourait
Et Jeanne accourait
les mains des femmes de ménage, venues du monde rural
Les mains de Berthe,
les mains de Lucienne,
les mains de Paulette,
les mains de Geneviève
ont tenu des balais,
ont frotté des parquets,
essuyé des carreaux,
porté des seaux d’eau,
nettoyé de l’argenterie,
fait briller des théières,
tordu des serpillières, lavé des habits,
donné des coups de chiffon,
repassé des torchons.
Depuis tôt le matin jusqu’à tard le soir,
fallait que ça brille, fallait que ça sente bon,
fallait que tout soit net dans les grandes maisons,
les maisons de ville où de gens fortunés
font des grasses matinées.
une chanson pour Raymond, à partir de ses souvenirs
Les mains de Raymond savent tracer, savent découper, savent tailler le
fer, savent agencer, savent ajuster, savent tourner le métal.
Les mains de Raymond savent aussi faire tourner les filles quand elles
dansent la valse, savent faire tournoyer les filles les soirs de fête,
quand les soirées d’été sont des éternités.
Raymond se souvient
Bourgvillain
Ses collines et ses chemins
Bourgvillain
Son école et ses saisons
Bourgvillain
Des jeux, des sensations
Bourgvillain
Des taureaux, des frissons
Bourgvillain
Des copains, des ruisseaux
Bourgvillain
Une grand-mère et des cousins
Bourgvillain
Raymond se souvient
du p’tit Raymond, du Grand Raymond
Du p’tit garçon et son tonton
Partageant le même prénom
Et se tenant par la main
Sur la route de Bourgvillain
Partageant la chicorée du matin
Dans la maison de Bourgvillain
Partageant des hameçons
À la pêche aux gardons
Dans les cours d’eau de Bourgvillain
dans les yeux clairs de Thérèse
Il y a du bleu qui nous regarde
Il y a deux pupilles curieuses qui comprennent tout
Il y a quelque chose de doux dans le visage,
quelque chose qui a effacé des souvenirs toute la noirceur
Et qui n’a gardé que ce qui fait couleur
Il y a une présence, une façon d’être active sans bouger
Une façon d’être à l’écoute des sentiments
Une façon d’être jeune malgré le temps
Une façon de dire beaucoup tout en se taisant
Dans les yeux clairs
de Thérèse se lève le jour
Dans ses yeux clairs se reflètent les gens,
se dessinent les contours du temps dans ses yeux clairs
se promène la nuit
Dans les yeux clairs
de Thérèse se lit son amour de la vie
Dans les yeux clairs
de Thérèse se lève le jour
Dans ses yeux clairs
s’écrivent des mots d’amour, s’écrivent des mots d’amour, s’écrivent des mots d’amour
denise n'aime pas l'école
Les mains de Denise ont compté des fils et boutons, coupé des
rubans, porté des rouleaux de tissus. Toutes ces matières textiles
qu’elle aimait caresser, le velours, la laine, le crêpe, le coton, la
dentelle, et la soie, la plus belle, celle de la croix rousse, tissé
sur les pentes de Lyon. Mais quand elle était enfant, les mains de
Denise n’ont pas du tout aimé jouer du violon et faire des gammes et
faire vibrer l’archet et les mains de Denise n’ont pas du tout aimé
tenir le crayon à papier, le porte plume, se tacher avec l’encre et
ouvrir des cahiers car Denise n’aimait pas et n’aime toujours pas...
Denise n’aime pas l’école
N’aime pas les devoirs et les récitations
Denise n’aime pas l’école
Où on reste assis toute la journée
Où on dit oui maîtresse toute la journée
L’école qu’elle aime,
C’est la buissonnière
Celle des chemins détournés
Celle des cachettes, et des fourrés
À observer tout ce qui vibre, et qui vit en liberté
berthe aime les petites bêtes
Berthe aime les petites bêtes
Les chats, les chiens, les ânes et les belettes
Et les préfère aux gens qui parfois sont méchants
Berthe aime les petites bêtes
Les poules, les mouches, les biches, les chouettes
Et les préfère aux gens qui souvent sont déc’vants
Berthe aime les petites bêtes
Les oies, les ch’vaux, les buses, les alouettes
Et les préfère à tout dans le règne vivant
Berthe aime les petites bêtes
Elle est leur amie, leur mère, leur sœur secrète
Berthe aime les petites bêtes
nos êtres chers
Nos êtres chers
Ceux que l’on porte,
Ceux que l’on tient au creux de ses mains
Ceux qui sont proches quand ils sont loin
Ceux qui murmurent
Ceux qui chantonnent dans nos oreilles
Et veillent sur nous dans notre sommeil
Nos êtres chers
Ceux qui absents restent présents
Restent vivants dans nos pensées
Et nous enveloppent de leur gaieté
Nos fenêtres sont toujours ouvertes
Nos portes ne sont jamais fermées
Pour les êtres chers que nous avons aimés
Nos mains sont toujours ouvertes
Nos cœurs ne sont jamais fermés
Pour les êtres chers qui nous ont aimés
Serge, le fils de Berthe
Paul Joseph, le mari de Geneviève
Josiane, Nadine, Alain, Bernadette, Marie-Pascale, Gilles, et Yves les
enfants de Denise
Gilbert, le frère d’André
Suzanne, la sœur de Marie-Madeleine
Nicolas, le fils de Renée
Lucie et Sarah, les petites filles de Robert
Pierre et Alice les parents de Solange
André, le mari de Josette
Raymond, le mari de Denise
Nicole, Anne-Marie, Chantal, Christiane, Alain, les enfants de
Geneviève
Marinette, la sœur d’André
Lydie, la fille de Josette
Jean-Ange, le mari de Josiane
Florence, la fille de Lucette
Emilie, la petite fille de Josette
Antoine et Antoinette, les parents de Denise, et Marie-Claude, sa fille
Raymond, le mari de Solange
Alfred, Marie les parents de Jeanne
Abdallah, Amar, Delila, Souria, Sabah, Sonia les enfants de Régina
Le Grand Raymond, le tonton du Petit Raymond
Vincent, le danseur de Paulette
Marie-France, Catherine, Annie, Denise, Christophe, les enfants de
Mauricette
Nicole, Josiane, Jean-Claude, les enfants d’Yvette
Charles, le frère de Lucienne»
texte collectif sur le langage des mains
Pour conclure cette série de textes individuels, nous avons écrit un texte collectif sur ce langage des mains :
Toutes vos mains qui se souviennent des gestes de leur métier
Celles d’André, de Mauricette, de Jeanne, de Bernadette, de Lucie
Les mains aux doigts tordus racontent une histoire
Les mains aux doigts potelés en racontent une autre
Les journées de labeur, les soirées travailleuses,
L’usine de nuit, le champ à cultiver
Les bêtes à traire, les courriers à taper
Le linge à repasser, l’acier à découper
Les maisons à bâtir, la pâte à pétrir
Les mains sans cesse occupées
des heures sans s’arrêter
Pas de répit, peu de repos
Chaque jour recommencé
Le travail d’hier a laissé ses traces sur les paumes et les mains enlacées
Et puis les mains de Geneviève, les mains de Paulette, les mains de Renée, les mains de Raymond, les mains de Denise
Ont tenu les petites mains de leurs enfants, ont caressé leurs petites têtes, nourri leurs appétits, lavé leurs habits
Leurs enfants ont grandi
Leurs enfants sont partis vivre leur vie et aujourd’hui
ils leur font chaque jour des signes de la main
Petits signes d’amour et grands cadeaux du quotidien
les lieux aimés
Nous avons aussi abordé les lieux aimés, les lieux dans lesquels les résidents peuvent se projeter et s’y sentir bien. Nous avons écrit pour eux ce «dialogue» imaginaire :
—Moi ce que j’aime par dessus tout, c’est la butte de Suin, de là on voit tout», dit Paulette. L’horizon est dégagé, le vent souffle, j’aime aussi les gros rochers que l’on peut escalader. C’est mon lieu, celui où je me sens bien
—Moi c’est dans le midi, dit Geneviève, le village de Porquerane, le village où vit mon fils, près de Béziers. Il y a des chemins, il y a des fleurs, et j’aime ce lieu, parce qu’il est beau et parce que mon fils s’y sent bien
—Et bien moi, c’est l’abbaye de Cluny, car j’y jouais enfant, dit Berthe, c’était mon terrain de jeu. Mes parents y étaient concierges, alors j’en connais tous les recoins, les cachettes, chaque pierre et chaque raie de lumière
—Oui mais ça ne vaut pas Mazille, dit Marie-Madeleine, Mazille, c’est magnifique, la vallée de Mazille, la vue sur le carmel et l’église romane dans le bas, ça c’est joli, et en plus, elle est debout l’église de Mazille, pas comme l’abbaye !
—Parlez toujours, dit André, rien ne vaut la Bresse, Mervans et ses champs de maïs et les gaudes, les goûters avec les gaudes ! J’en salive encore !
—Tout ça c’est bien joli, mais Trivy, hein Trivy dit Solange et le hameau le Rochat, et la ferme de mon père ! Ça c’est mon lieu favori ! Je n’ai pas besoin d’abbaye, la ferme de mon papa me suffit !
—Et bien moi, j’aime les châteaux, dit Josette le château de Berzé le chatel, voilà une vue qu’elle est belle ! Elle me ravit ! Et moi Josette, je me sens Josette 1ère, reine de Bourgogne quand je m’y promène !
—Ah ah et le Morvan, ça compte pour rien peut-être ? Dit Jeanne. Le Morvan, les montagnes du Morvan, le vert du Morvan, ça, c’est la vraie Bourgogne et le berceau de mes parents, alors pour moi le Morvan, c’est l’amour des parents
—Moi aussi j’ai l’amour pour ma terre, dit Régina, la terre d’Algérie, j’en ai la nostalgie, le bord de mer, le désert, les villes et les voisins, si gentils, qui sont comme des frères et des sœurs. Oh oui, de l’Algérie, j’en ai la nostalgie
—Et bien moi ce que j’aime, ce sont les rues de Paris, dit Mauricette, celles que j’ai arpentées, dans tous les sens, sur terre, sous terre, depuis la place de l’opéra, c’est par là-bas que je suis née, et la place de la Madeleine, et la rue de la Trinité et la Butte Montmartre ! Je connais Paris comme ma poche, et parisienne je suis restée
—Moi je suis de Normandie, dit Lucienne et y’a pas que Paris dans la vie. Il y aussi la ville du Havre, et son port et ses bateaux, et Paris, c’est très joli mais y’a pas la mer, nananère !
—Et ben moi j’aime pas la Normandie, et j’aime pas Paris non plus, dit Denise. Et j’aime pas Lyon, et j’aime pas Mâcon et j’aime pas Chalon. Moi ce que j’aime, c’est Ecully, c’est là que j’ai grandi, alors pour moi, c’est Ecully, et je lui serai fidèle toute ma vie
–Et bien moi, dit Raymond, c’est rien de tout ça, moi mon lieu favori, le lieu où je reviens toujours, le lieu du bonheur, c’est la mare aux canards chez ma grand-mère. La petite mare où j’avais mis des carpes, et tous les soirs je les regardais gober les mouches, cette mare, c’était mon coin à moi, mon moment à moi, c’était ma rêverie, et ça restera toujours mon paradis.
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