derrière nos portes

«Ce spectacle, c’est une lettre aux trottoirs, aux gravillons, aux dénivelés, c’est une lettre à ceux qui nous regardent traverser sur les passages cloutés, c’est une lettre à ceux qui nous regardent dans la queue des supermarchés, à ceux qui nous sourient sans oser nous parler, c’est une lettre à notre enfance, c’est une lettre à nos secrets, c’est une lettre à notre volonté, c’est aussi une lettre d’amour, à ceux que nous aimons, qui nous aiment et qui nous ont aimés, dedans il y a nos mots, nos mots parlés, nos mots écrits, nos mots chantés, il y a aussi les mots de quelques poètes dont les courriers qui nous ont inspirés»

«Derrière nos portes» est un projet artistique, musical et poétique, conçu pour les résidents de l’Établissement d’Accueil Spécialisé Ugecam les Villandières de Charnay les Mâcon, qui a démarré en mars 22 et s’est terminé en novembre 2022. Quatre artistes du spectacle vivant, Sidonie Dubosc, Flore Simon, Valérie Gaudissart et Romane Lasserre ont animé 21 séances d’ateliers créatifs de deux heures, écrit des chansons et un texte théâtral, mis en scène un spectacle, animé une résidence de répétitions de 4 jours, et ont donné avec les résidents deux représentations publiques. Formidable expérience et magnifiques rencontres ! Pour démarrer ce cycle d’ateliers, nous avons d’abord envoyé à chacun des 60 résidents une lettre d’invitation personnelle, en y faisant allusion à un élément biographique qui nous avait été confié par l’animatrice.

Et nous avons continué sur le thème de la correspondance et avons imaginé tout ce travail créatif comme étant une longue lettre envoyée aux proches, une lettre qui évoque l’enfance, les désirs, les secrets, et des revendications adultes et citoyennes. Faire émerger et faire reconnaître le monde imaginaire, le monde intérieur , la fantaisie, la sensibilité poétique, la philosophie de la vie des résidents était nos objectifs.

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À partir de toute la matière que nous avons recueillie à l’oral, à l’écrit pour certains d’entre eux, nous avons tout de suite composé des chansons, écrit des textes qui réunissaient tous nos échanges et imaginé toute un travail visuel. .

Et nous avons avec 17 résidents monté un très beau spectacle, un moment complètement à part, suspendu, étonnant, avec des chansons, des scènes et de la magie visuelle....

Voici quelques-unes des créations réalisées entre mars et juin 2022 qui ont intégré le spectacle du mois de novembre.

Dans mon enfance

Dans mon enfance, il y avait des fêtes avec des oncles, des tantes, des cousins, des cousines
c’est quand l’enfance ? L’enfance c’est dans la tête. L’enfance, c’est toute la vie.
Dans mon enfance il y avait les montagnes du Morvan
il y avait la neige l’hiver et les jeux de luge
il y avait du bonheur
il y a eut mes premiers pas à l’âge de 7 ans, et le début de mon autonomie
il y a eut des aller-retour à l’hôpital à Lyon
il y avait un couverture par terre sur laquelle ma mère m’installait et me calait pour que je puisse jouer
il y avait moi dans une chaise de bébé jusqu’à mes 6 ans
il y avait les bras de mes parents qui ne tenaient pour que je puisse manger
il y avait un déambulateur à ma taille d’enfant
il y avait mon copain Gérard et mon copain Antonio
il y avait ma sœur avec qui j’arrosais les fleurs
Dans mon enfance il y a eut une opération des jambes
il y a eut un circuit électrique, des jeux de cartes
il y a eut Dolly le chien
il y a eut les étoiles la nuit
Dans mon enfance, il y avait une petite fille qui s’appelait Patricia qui s’était rendu compte que je ne marchais pas et qui m’aidait à enlever mon blouson.
Il y avait aussi d’autres enfants à qui je faisais peur et qui se réfugiaient dans les bras de leur mère quand ils me voyaient.
J'aime l'amour :  musique et chant de Sidonie Dubosc

La manif de la vaisselle cassée

Je suis le verre brisé
Je suis l’assiette fêlée
Je suis la tasse sans anse
Je suis le couteau sans manche
Je suis le seau percé
Je suis la fourchette tordue
Je suis la roue voilée
Je suis le pneu crevé
Je suis le vase ébréché
Je suis le clou rouillé
Je suis le bois vermoulu
Je suis le mouchoir déchiré
Je suis la photo jaunie
Je suis l’horloge aux aiguilles arrêtées
Je suis la bougie fondue
Je suis le bas filé
Je suis le gant troué
Je suis le livre corné
Je suis l’échelle branlante
Je suis la table bancale
Je suis le volet qui laisse passer le jour
Je suis la chaussure aux semelles élimées
Je suis la lampe qui n’éclaire pas assez
Je suis le collier aux perles perdues
Je suis l’allumette brûlée
Je suis le mégot consumé
Je suis la voiture qui ne démarre plus
Je suis la chaise à laquelle il manque un pied

Derrière ma porte il y a :

–plein de bonbons au chocolat
–le néant
–l’univers, les planètes, les étoiles
–des voyages dans l’air
–des licornes et des arcs en ciel
–la mer bleue turquoise d’été, où l’on peut se baigner
–des bouquets de tulipes
–des îles paradisiaques
–un cabanon en bois pour faire de l’ombre
–de l’amour et de l’amitié
–la gentillesse de mon amie Dominique que j’aime beaucoup
–des vacances en famille
–des discussions et des moments de partage avec mes parents
–un paysage vert rempli de pommiers
–des balades et des après midi de pêche
–un grand mélange de couleurs
–une bonne compagnie
–de la vie
–de la liberté
–de la lumière
–la montagne en été (mais pas celle d’hiver, car la neige est belle mais elle cache toute la nature, et moi j’aime la nature)
–de longues siestes à l’ombre des arbres
–mes proches décédés, mes amis, tous ceux que j’aime
–un verre de coca
–un verre de cocktail
–une musique douce avec du violon, du piano, de la guitare, de la basse, de la trompette (mais douce, attention) et de l’harmonica)
–l’odeur de la brume et du feu de bois
–l’odeur de la campagne après la pluie, et l’herbe fraîchement coupée
–un petit café dans un bar
–des pensées qui s’en vont et qui reviennent
–de la musique disco
–des gnocchis à la tomate, comme en Italie
–mon papa et mon frère partis au paradis et qui me disent de ne plus avoir peur de la mort, c’est un endroit paisible

La météo des sentiments

La météo des sentiments
Une carte du monde en projection
Des émotions en prévision
La pluie, le vent
Le réchauffement
Les nuages blancs
Soleil couchant
Les turbulences des sentiments
Et l’alternance de c’qu’on ressent
Demain je serai comment ?

Je serai triste ?
Brumes matinales

Je serai changeant ?
Giboulées de mars

Je serai gai ?
Longues éclaircies

J’serai fatigué ?
Anti-cyclone

Je serai fâché?
Pluie verglaçante

J’aurais le sourire ?
Flocons de neige

Je serai colère ?
Orages qui grondent
Coup de tonnerre

Je tremble

musique  : Sidonie Dubosc
Je n’aime pas t’entendre crier
Car quand tu cris
Mes jambes se mettent à trembler
Et je ne peux plus les arrêter

Je tremble et c’est la terre qui tremble
Et tout s’écroule, les maisons, ma gaieté
Je tremble comme les feuilles dans le vent
Je tremble comme le reflet dans l’eau
Je tremble comme l’enfant fiévreux
Je tremble comme l’animal peureux
Comme l’oiseau dans le froid
Je tremble de colère et d’effroi mélangés

Je tremble de n’être plus aimé
De n’être pas compris
Je tremble de ma fragilité

Je n’aime pas t’entendre crier
Je n’aime pas t’entendre crier

Chanson pour Pauline

il y a des choses que je n’ose dire
c’est pourquoi je veux les écrire
Entendez-les mes mots soignés
Regardez-les mes frêles pensées
fragiles, peureuses et indomptées,

si je vous parle, vite, elles s’enfuient
elles font des nœuds dans mon esprit entendez-les mes mots soignés
Regardez-les mes frêles pensées
fragiles, peureuses et indomptées,
alors je les couche par écrit
voici mon cœur, voici ma vie
à travers une encre haletante
sur une feuille frémissante
dans une enveloppe palpitante

il y a des choses que je n’ose dire
c’est pourquoi je veux les écrire
entendez-les mes mots soignés
Regardez-les mes frêles pensées
fragiles, peureuses et indomptées

Les correspondants

Jean-Luc écrit à la terre entière
Jean-Luc ne fait pas les choses à moitié

Béatrice écrit à son père
Pour lui dire que derrière ses yeux fermés, elle le voit, elle l’entend et lui parle souvent.
Alors ils boivent le café et discutent comme avant.

Raphael écrira peut-être à quelqu’un et je crois bien que ce quelqu’un, c’est lui-même, un lui-même un peu secret mais bien présent

Leïla écrit à celui qu’elle aime, en lettres d’or car l’amour, elle pense que c’est ce qu’il y a de plus précieux

Jean-Pierre écrit à ceux qui fuient la guerre, car la guerre, c’est du malheur qui est trop lourd à porter, alors il faut le partager

Franck écrit aux filles qui chantent aigü car quand les filles chantent aïgu, il a l’impression de décoller et alors là, le quotidien n’existe plus

Isabelle écrit à ses enfants, des lettres toute brodées comme des couvertures qui bercent les bébés

Loïc écrit à sa mère, car là où elle est, elle le regarde, elle veille sur lui, et là où il est, il veille sur elle, car les gens que nous aimons, même morts, ne sont jamais très loin

Philippe écrit à Isabelle car Philippe est amoureux, alors chaque jour, pour lui, même en plein hiver, c’est le printemps

Pauline écrit à ses parents, un long poème plein de trésors, de cachettes, de questions et de réponses aussi

Ludivine écrira plus tard, elle n’est pas pressée, car de toute façon, le courrier, ça part à toutes les heures, même en pleine nuit, quand on pense très fort à quelqu’un
Adrien écrit aux chaussures à crampon de Griezman, au short de Zidane et aux cheveux de Neymar parce que ça le fait marrer, et que pour se marrer, il est très doué

Christine écrit au Père Noël pour lui demander de passer plus souvent parce qu’un jour par an, c’est vraiment des clopinettes

Nadia écrit à sa famille, et ça fait un gros paquet de lettres pour plein de gens, avec plein de mots doux dedans. Sa famille est loin, mais en lui écrivant, elle la sent toute proche, comme si ils étaient tous là, avec elle, dans sa chambre la nuit

Pascal, qui est haltérophile écrit des lettres très très lourdes, et tellement lourdes qu’il faut faire attention à ne pas les faire tomber sur ses pieds. Elles sont lourdes car dedans il y raconte des tonnes de trucs qu’il ne dit d’habitude à personne.

Nicolas écrit à des personnages qu’il aime bien, il écrit au Petit Poucet, au Chat Botté, aux trois mousquetaires, aux personnages qui peuplent les enfances et qui leur donnent de la force
Didier écrit à sa maison et aux bouts de ferraille qui l’attendent dans son jardin. Le fer, le métal, c’est solide, ça ne se brise pas, comme lui.

Sid écrit à sa soeur, car sa soeur, elle le défendra toute sa vie, elle le portera toute vie et avec elle, adieu les ennuis !

Frédéric écrit à sa nièce et à ses vingt ans, parce que 20 ans, c’est important, il faut lui dire qu’elle profite de chaque instant, et que lui son oncle, sera toujours fier d’elle

Rita écrit à Dominique, l’amie fidèle de chaque jour pour lui dire merci d’être là auprès de moi

Florence écrit à l’homme aveugle, celui qui n’a peur de rien, et surtout pas du noir et qui descend les pentes de montagne sur ses skis vertigineux. Le blanc de la neige et le noir de ses yeux, ça ne fait pas du gris, ça fait du bleu, comme le ciel pur, celui qui permet de voir et de s’envoler loin

Albano écrit à son fils pour lui dire meu querido filho, eu te amo, sinto sua falta, espero vê-lo novamente em breve. Obrigado por tudo. seu pai

Jonathan écrit à toutes les notes de son piano, tous les fa sol la si do, les dièses, les bémols, les trémolos, car quand il pose sa main droite sur le clavier du piano, il devient léger, comme un moineau

Jérémy écrit à un paysage coloré, car pour Jérémy, la gaieté, c’est sacrée et son sourire est comme l’arc en ciel, bien accroché et visible de très loin, même du Mont Blanc qu’on voit des fois depuis Mâcon les jours de beau temps

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