celles qui veillent

celles qui veillent est un projet destiné à accompagner un maintien à domicile de qualité en milieu rural. C’est un projet qui s’appuie sur le merveilleux travail effectué sur le territoire par des infirmières libérales et sur notre expérience de l’accompagnement du soin par la musique.

D’abord, un petit mot sur celles qui veillent
sur les volets ouverts,
sur les blessures, les pansements, les isolements,
sur les fins de vie, les maladies.
Celles qui veillent sur les promesses faites aux mourants,
sur la régulière prise de médicaments,
sur la propreté des corps,
sur les familles distendues,
sur les liens perdus.
Celles qui veillent sur la dépression, les colères et l’abandon.
Celles qui éclairent par leur présence et tout leur savoir-faire, la journée des maisons où elles sont attendues.

6 heures du matin : Emilie, Céline, sortent de leur maison, grimpent dans leur voiture et les voilà parties, depuis Beaubery, petit village du Charollais, chacune de leur coté, pour la tournée du jour, celle qui, comme celle d’hier et de demain leur fera rendre visite et prendre soin d’une quarantaine de patient.es, vivant souvent depuis toujours dans des lieux reculés. La journée sera chargée de ces multiples rencontres, de « Bonjour, comment ça va ce matin ? », de rituels de café, de douches à donner, de piqûres à faire, de blessures à soigner, de douleurs à soulager, de médicaments à déposer, de bons moments, de retrouvailles partagées, et de petits services à rendre, car il faut bien que quelqu’un les fasse : une ampoule à remplacer, trois bûches à rentrer, mettre une pendule à l’heure d’été. La journée sera chargée de ces gestes quotidiens qui rendent la vie plus saine, et plus supportable, sera chargée de cette présence régulière et bienveillante qui rend la solitude des campagnes moins pesante, sera chargée d’échanges et de paroles, qui nourrissent ces liens singuliers et fidèles, ceux qui se tissent entre des infirmières libérales en milieu rural et leurs patient.es.

Car il faut aimer son métier et tout ce qu’il contient, quand on est comme Emilie et Céline, infirmières en milieu rural, il faut aimer les routes de nuit tombante, les matins de brouillard, les pare-brises givrés, le soleil sans ombre, la pluie battante, et les kilomètres sans compter. Il faut aimer et savoir s’inviter dans les intimités des corps, des familles, des histoires, des solitudes et des maisons. Il faut savoir se sentir chez soi dans ces maisons, petites fermes, où vivent et vieillissent souvent en solitaire des anciens paysans, des commis agricoles, des gens modestes, presque invisibles. Il faut aimer toute cette génération de villageois.es qui ne sera pas remplacée, car les suivantes sont bien trop différentes, il faut savoir parler leur langage, trouver les mots justes, et il faut savoir s’attacher sans se perdre.

Car visiter pendant des mois une même personne, parfois deux fois par journée, n’est pas anodin, ni dans la vie des patient.es, ni dans celle qui veillent sur leur santé au quotidien. Accompagner jusqu’au décès, jusqu’aux obsèques, et respecter les promesses que l’on avait faites aux mourants («Promettez-moi que je mourrai chez moi», entendent-elles souvent), n’est pas banal non plus. Tout cela laisse des traces, des histoires, souvent très belles, des anecdotes, des souvenirs toujours vibrants, et des émotions de toute variété chez les soignantes, ces veilleuses du quotidien, des solitudes, et des tourments.

celles qui veillent va consister à accompagner en musique les soignantes à domicile lors de soins rendues complexes, liées à des pathologies douloureuses, des maladies psychiques, des fins de vie, d’isolement, des douleurs ou des soins mal supportées par les patients.

Pendant les soins, Estelle Bernigal, accordéoniste va donc jouer, et de par notre expérience et la sienne, nous savons combien la musique jouée en live, est thérapeutique, améliore le quotidien, remet les corps en mouvement, allège la dépression, permet de mieux supporter la douleur, permet l’expression d’émotions parfois longtemps retenues, et permet la création par la présence de la musicienne un nouveau lien social.

Projet innovant et expérimental, mené grâce au soutien de la MSA.

Et voici, quelques extraits de notre journal de bord et quelques photos de ces moments de gaieté, d’émotions contenues, de mercis et de quotidien transformé. Nous sortons de ces séances nourries de tant de choses, qu’il va être difficile de les arrêter. Et c’est bien pour cette raison, que nous aimerions pérenniser ce projet, le développer sur le territoire et par la même occasion faire tout un travail de reconnaissance du métier d’infirmières en milieu rural, métier indispensable et si peu connu !
C’est donc à l’étude !

« Aujourd’hui jour d’anniversaire ! On part chez Bernard, en défilé, l’accordéon en bandoulière. Estelle, Céline, Emilie, Valérie et quatre sourires bien accrochés, arpentant la rue de Beaubery. Personne ne nous regarde mais pour nous, c’est mieux que les champs Élysées le 14 juillet

Emilie ouvre la porte: vl’à une surprise ! Bernard n’en revient pas. Quatre femmes, dont une qu’il ne connait pas, plus un accordéon pour ses 89 mois de mai ! Polka, valse, et Bernard qui ne se lève jamais se met debout, et bouge les bras, wouah ! Et ça rigole ! Emilie danse avec lui.
On reste un bon moment car le moment est bon, y’a de la bonté dans l’air, on va pas s’en priver » 

« Une dame est assise dans sa cuisine, elle semble nous attendre, sérieuse et silencieuse. Une petite chienne teckel, tremblotante vient se faire caresser et retourne se coucher. Emilie aide la dame à se doucher et lui fera un brushing. Les infirmières ici savent tout faire: rentrer le bois, rentrer le courrier, faire la coiffeuse, amener de fleurs aussi quand c’est l’anniversaire des dizaines.

La cuisine est d’un drôle de vert, une peinture millénaire, un oiseau empaillé, quelques enfants d’aujourd’hui encadrées sur des murs. Le lieu est dans son jus, comme on dit, et la dame sort un jus de fruit. C’est l’heure du gouter, la dame nous fait signe, sans vraiment nous parler. Un silence en elle s’est installé, les expressions du visage se sont effacées, mais Emilie et Céline arrivent à les décrypter.
Retour dans la voiture, la route est très belle, le paysage intact, lui aussi dans son jus, millénaire et printanier. »

« Dernière visite de la matinée : La maison est si modeste qu’on la remarque à peine. La dame est si petite qu’on pourrait la porter. La cuisine est d’un bleu délavé, la dame vit dans deux pièces, sans lumière, la tapisserie a quelques heures de vol.
Elle est touchante cette dame et sa douceur fait du bien. Elle chante avec nous, elle chante même sous la douche. Raconte en quelques mots sa vie d’ouvrière. On découvre ici des personnes invisibles: un milieu prolétaire, minuscules salaires, déplacement en mobylette pour aller à l’usine. La dame a pris sa douche, elle est en chemise de nuit, il est 5 heures du soir, elle restera toute seule, pour sa petite soirée. Sa fille, qui habite à côté, ne vient jamais la voir. »

« Il est allongé dans son lit médicalisé. Il lui est arrivé une sacré tuile: un gravissime problème de vertèbres et le voilà tétraplégique, mais quel regard futé et gentil chez ce monsieur ! Et ses petits yeux mouillés en nous voyant arriver en musique dans sa chambrette et comme il serrera fort la main de Céline ! Céline en aura aussi les larmes aux yeux. Faut dire qu’entre eux deux, c’est de l’amitié, de la complicité. Ça ne s’explique pas, c’est comme ça, c’est fort et ça durera.
Elle l’appelle « le beau gosse », elle le lave, elle le voit nu, elle le peigne. Nous sommes vraiment ici au coeur du métier d’infirmière de village.
Accompagnante jusqu’au bout du bout, loyale jusqu’au dernier jour. Coeur ouvert et coeur sur la main et baume au coeur.
Le monsieur, de son lit passe sur son fauteuil électrique par la magie et les gestes de l’infirmière et ceux de l’élévateur, et tout ça en musique ! Quel ballet ! »

« Petit trajet en voiture qui nous amène chez Robert et sa femme, tous les deux anciens paysans. Quel accueil ! Aux premiers sons de l’accordéon, Robert sort de sa chambre et debout sur ses deux cannes, se met à danser, tout bancal qu’il est, mais le coeur y est. La musique fait remonter tous les souvenirs des nombreux bals où il allait quand il était jeune, et Dieu qu’il en a fait des kilomètres pour aller guincher ! Il faut dire que « c’est dans les bals, qu’on trouve les belles nénettes ! » Les belles nénettes que nous sommes vont devoir partir après quelques morceaux endiablés joués par Estelle qui nous ont donné l’impression d’avoir quitté la cuisine et d’être transportées sur un parquet de danse.
La séance est passée comme un songe, et d’ailleurs ne me demandez pour quel soin nous sommes allées chez lui, aucun souvenir !
Ne reste que le souvenir de cette gaieté, cet accueil qui nous font regretter de ne pas passer la journée chez Robert et sa femme (rencontrée dans un bal pardi!) »

« Nous passons un long moment chez J. Car elle s’est beaucoup confiée et a certainement besoin d’un changement de vie. Elle dira d’elle-même, alors qu’elle fut très active toute sa vie, qu’elle est trop vieille et n’aime plus rien, que ses trois covid l’ont laissée à plat, qu’elle n’a plus de désir et qu’elle est submergée par des bouffées d’angoisses. Immédiatement, je me dis que cette dame qui a toute sa tête et est capable d’exprimer ses émotions aurait besoin d’être stimulée, par des séances individuelles créatives, qui la remettraient sur pied, et aussi par une vie sociale. Son jardin est fleuri, très joyeux, elle dit que les fleurs poussent toute seule. Nous espérons que ce nous lui avons dit ce matin germe en elle et qu’elle prenne des décisions qui lui permettront de sortir de sa dépression. Dépression de l’entrée dans le 4ème âge, assez classique et normale, mais dont elle parle en disant qu’elle a « décartonné », que ce sont des beurdineries.

Dame très touchante et pour laquelle je suis sûre, nous pourrions faire plus. Nous avons chanté avec elle « et pourtant comme la montagne est belle », qui raconte le voyage qu’elle-même a fait l’envers : la chanson raconte ceux qui ont quitté le village, J. et sa solitude racontent plutôt ceux qui y sont revenus à l’âge de la retraite, après des années passées en ville. »

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