Qu’est-ce que je cache dans mes recoins, dans mes planques ? Pas seulement la bouteille d’alcool que je ne veux pas qu’on voit, mais bien d’autres choses : des choses vécues, douloureuses, des pertes, des ruptures, des traumas, des héritages, et aussi beaucoup de honte et de culpabilité, ces deux sentiments jumeaux siamois bien collés l’un à l’autre qui sont un poids bien lourd à porter.
Mais peut-être y-t-il dans ces cachettes secrètes autre chose à dévoiler ? Des capacités créatives, un monde imaginaire, des désirs enfouis, jamais exploités ? Une volonté de se reconstruire, de vivre différemment ? Et une façon de se regarder et de se montrer autre ?
Cachettes secrètes, projet animé par trois musiciens et auteurs, Sidonie Dubosc, Valérie Gaudissart et Florian Girard, s’est tenu à l’automne 23 au sein du service SSR Addictologie de l’Hôpital de Montceau.
Une vingtaine de patients y ont participé, chacun.e ayant pu écrire l’intimité de leur passé, de leur présent, et de leur projection dans l’avenir. Ces textes sont devenus chansons, slams collectifs ou personnels.
Trois représentations ont été données, l’une au sein de l’Hôpital et deux autres en ville, aux Ateliers de Jour.
Moments forts partagés entre patients, soignants et spectateurs, ces représentations ont été des alliées du soin, de l’abstinence, et ont permis de transformer l’image que les patients avaient d’eux-mêmes et que les autres portaient sur eux.
En voici quelques exemples :
Écrire des chansons
Et vous les partager
S’éloigner de l’addiction
Et comprendre vers quoi on veut aller
Se découvrir une expression
Et une manière de se sentir un peu moins dévalorisée
Aux yeux des autres, et peut-être avec encore plus de nécessité à ses propres yeux
Se réconcilier en quelque sorte
Voilà l’enjeu de ces ateliers
Et voilà aujourd’hui ce que nous pouvons vous en raconter
pourquoi cette soirée ?
pourquoi je t’ai rencontré ?
pourquoi je t’ai aimé ?
pourquoi ma fierté ?
pourquoi je t’ai embrassé ?
pourquoi on a couché ?
pourquoi je suis tombé ?
pourquoi j’arrive plus à me relever ?
pourquoi j’arrive pas, je n’arrive pas à t’oublier ?
pourquoi j’ai consommé ?
pourquoi j’ai tout gâché ?
pourquoi tu m’as planté ?
pourquoi j’ai essayé de te rattraper ?
pourquoi tu m’as repoussé ?
pourquoi me dire que je suis un guerrier ?
parce que je ne vais rien lâcher
je ne vais rien lâcher
je veux me retrouver
je ne veux plus sombrer
je vais avancer
accepter mon passé
je ne vais rien lâcher”
Il dit que son cerveau est tout québlo
il dit que son cerveau a posé des verrous
il dit que son cerveau vit sa propre vie, en dehors de lui
il dit que son cerveau est fâché depuis longtemps contre lui
il dit que son cerveau est sourd comme un pot
il dit que son cerveau est vide comme un dernier verre
il dit que son cerveau est liquide comme de l’eau
il dit que son cerveau lui joue des mauvais tours
cerveau, québlo, tout bloqué mon cerveau, oh, oh (2x)
il dit que son cerveau n’en fait qu’à sa mauvaise tête
il dit que son cerveau ne veut plus rien ressentir
ne veut plus lui envoyer de signaux
il dit que son cerveau ne retient plus les mots
il dit qu’il devrait y faire le ménage
ranger des cartons, poser des étagères
boucher les trous de souris
enlever les toiles d’araignée
remettre un peu d’ordre dans tout ce merdier
il dit que son cerveau est un endroit malfamé
où il ne fait pas bon se promener la nuit
il dit que son cerveau fait souvent semblant de dormir
et qu’il pose devant sa porte son petit panneau
« ne pas déranger »
il dit que son cerveau y met de la mauvaise volonté
qu’il fait tout pour ne pas y arriver
pour que rien ne rentre, rien ne sorte
qu’il est un vrai bouclier
mais il dit que dans ses bons jours, son cerveau arrive à conjuguer le verbe aimer
verbe du premier groupe
celui qui sauve tout ce qu’il y a à sauver
et dans ses jours de bonté, ses jours un peu plus ensoleillés que les autres
il trouve gravés en lettres d’or sur les murs de son cerveau deux prénoms
deux prénoms courts, doux et berçants
les prénoms de ses deux enfants
ses deux enfants qu’il a tenus dans ses bras quand ils sont nés
il raconte que vite il fait tracer ces deux prénoms sur ses deux bras tatoués
un à chaque bras
un dans chaque bras
bras tendus, bras serrés, bras chargés
mais l’amour est très léger
l’amour ne peut pas s’oublier
alors son cerveau regarde ses bras
et lui dit, ok mon gars, tu as gagné
ces deux prénoms là, de tes êtres aimés
je ne pourrai jamais te les effacer.
Refrain : cerveau québlo
tout bloqué mon cerveau, oh, oh
dans ma tête, je suis un vrai gamin
mais j’ai joué dans un jeu dangereux
un suicide à grand feu
tout a brûlé, la famille et la santé
je marche sur un brasier
je mets du temps à avancer
un petit pas sur des braises
je me suis brûlé les doigts sur tant de cigarettes
que sont parties en fumée les émotions de ma tête
j’aimerais éteindre l’incendie
balayer les cendres
retrouver le chemin de ma vie
et avec de l’aide et du soutien
retrouver les promesse de ma jeunesse
et les éclats de rire de quand j’étais gamin
dans ma tête c’est le bordel
dans ma tête il y a beaucoup de problèmes
dans ma tête c’est dûr d’avoir une belle vie
dans ma tête il y a des choses que je voudrais rattraper
dans ma tête il y a ma fille que je veux pas perdre
dans ma tête il y a ma famille au grand complet
dans ma tête il y a plein de choses que j’essaie de changer
A l’intérieur de moi, il y a cette petite voix, la chaleur et les battements de mon cœur
il y a la tension de mes bras
le sang qui coule comme au Rwanda
il y a un cerveau qui s’irrigue et qui a presque résolu l’intrigue
il y a toute cette fumée qui s’évacue
cette patience que l’on a quand on fait la queue à la Sécu
cette mémoire digne des premières clés USB
il y a ce temps perdu, en te regardant t’amuser pendant que papa était en train de s’alcooliser
enfin ce mot, désolé
à l’extérieur de moi, il y a un ourson à deux faces, des fois méchant, dès fois ancien combattant
il y a le froid de cette première glace qui fondait en marchant
cette personne saoulée de la situation passée
il y a cette lionne qui protège sa portée
il y a cette joie de relever la tête, comme un gamin sur sa bicyclette
il y a cette pièce à jeter dans la fontaine,
et le vœu de quitter cette vie souterraine
relever la tête, comme un gamin sur sa bicyclette
Pourquoi ces mots ?
Parce qu’ils racontent mon histoire
parce que ce passé est douloureux
parce que j’étais trop petit pour comprendre
parce que j’en ai tellement souffert
parce qu’en grandissant j’arrivais toujours pas à oublier
parce que j’ai rencontré les mauvaises personnes
parce que j’ai consommé pour festoyer
parce que ça faisait du bien
parce que j’étais moi sans être moi
parce que j’ai tellement fauté
parce que je me suis de plus en plus alcoolisé
parce que j’ai tout perdu
parce que j’ai décidé de me soigner
pour moi !
pour moi !
pour pouvoir m’envoler
pour pouvoir m’évader
pour pouvoir me relever
pour pouvoir leur montrer
A notre première rencontre
L’amour se montre
La foudre nous tombe dessus
Nous voilà sans dessous dessus
A l’arrivée de notre petit
tout petit, je me suis senti
J’ai senti la peur m’envahir
Peur de ne pas pouvoir te soutenir
Que dire… que dire
J’ai eu peur de vous voir partir (2x)
Mes mauvaises actions
A cause de l’addiction
De discussions
En bonnes résolutions
Les promesses non tenues
Les disputes sont venues
La confiance en moi était partie
Je jouais dans une autre partie
Que dire… que dire
J’ai eu peur de vous voir partir (2x)
Mais je vais changer
Devenir pompier
Rallumer notre flamme
Retrouver mon âme
Bâtir un foyer
Une grande cheminée
Pour nous rassembler
Nous retrouver
Que dire… que dire
J’ai eu peur de vous voir partir (2x)
Nous ferons de longs voyages
Plages et paysages
Où tu voudras
Bras dans les bras
Visiter l’Italie
Revoir nos amis
Enfin offrir une vie meilleure
A mes âmes sœurs
Que dire… que dire
Et enfin sourire à l’avenir (2x)
quand il n’y a pas de parce que à tes pourquoi
quand il y a un ami et un ennemi à l’intérieur de toi
quand c’est la guerre contre tes propres bras
qui se tendent vers les verres posés sur toutes les tables
de toutes les cuisines, de tous les bars, de tous les salons, de tous les sous-sols, de chaque bout de trottoir
quand tu dois tout contenir, tes mots, tes secrets, et ton envie de boire
quand toi-même est devenu ton propre cauchemar, à chaque aube répété
quand celle que tu es le matin n’est plus celle que tu es le soir
quand celui que tu vois dans le miroir est le reflet d’un étranger
quand tu te vois reliée à ta bouteille d’eau sucrée
grenadine et remords mélangés
quand tu dois t’abstenir de remous,
quand tu dois t’abstenir de trembler,
quand tu dois t’abstenir de consommer
quand tu dois t’abstenir de compter tout ce qui en toi est consumé
quand tu dois t’abstenir de haïr l’enfance que tu as traversée
et ta propre photo que tu voudrais déchirer
quand ton trop plein fait le vide dans ton histoire
quand le vide de ton verre fait le plein d’encre noire
quand le vide du ravin te crie de ne pas sauter
quand le vide de ton verre te regarde plein d’espoir
et quand te reprend comme l’enfant l’envie de jouer
quand te reprend l’envie de journées à remplir,
alors tu reprends pour toi-même une longue lettre à écrire
et tu reprends goût aux mots que tu mets dans ta bouche
alors tu cesses de couler, de te répandre, de te noyer
tu n’es plus le liquide transparent, qui te faisait tanguer
tu redeviens sang et tu redeviens solide
tu redeviens l’ami que tu avais perdu
tu redeviens le père, la mère que tes enfants attendent
tu redeviens le visage qui regarde dans les yeux
tu redeviens les yeux qui regardent tes mains
tu redeviens tes mains qui ont brisé le verre,
tu redeviens tes jambes aux chemins parcourus
et dans ton image se reflétant dans les vitrines de la rue
tu redeviens celui que tes peurs n’effraient plus
tu redeviens celle qui avait disparu derrière son rideau de fenêtre
et tu redeviens, marchant, tête qui se redresse,
bruits de tes pas sur le pavé
silhouette qui marche sans boiter
le gamin que tu as été
la gamine que tu es restée
sautant dans les flaques d’eau après les orages de l’été
Demain tu en auras fini
avec ce produit maudit
qui t’a envahi l’esprit
qui te conduisait vers la mort
sous les yeux gourmands du croque-mort
demain tu combattras ce grand guerrier
qui te dépassait
te conduisant à la folie
salissant ton arbre de vie
mais pour l’instant, c’est le présent
tu gardes espoir pour le moment(2x)
demain tu vaincras les plus hauts sommets
sans trembler
tu contempleras le ciel
la joie éternelle
demain tu décrocheras les étoiles
tu déchireras le voile
et le passé sera absent
et tu auras le mors aux dents
mais pour l’instant, c’est le présent
tu gardes espoir pour le moment(4x)
j’aimerais m’offrir une page blanche
un plongeon dans l’océan
Et un enfant qui serait à moi
J’aimerais m’offrir au bord du lac une maison
un nouveau livre à écrire
Et le temps que j’ai perdu avec ce scorpion
J’aimerais m’offrir cette vie qui nous séparés
un oreiller en barbe à papa moelleux
Et des rêves au goût savoureux
J’aimerais m’offrir une bonne conduite
la liberté d’être libre de mes choix
Et des journées où ma tête n’explose pas
J’aimerais m’offrir la quiétude
un grand voyage sur les îles
Et une enfance comme j’aurais voulu
J’aimerais m’offrir la Lune
une seconde jeunesse
Et des désirs qui durent dans le temps et pas des envies immédiates qui s’éteignent aussi vite qu’elles arrivent
j’aimerais m’offrir une personne à aimer
un jardin de pivoines
et une vie où je n’aurais pas été le souffre-douleur de mon père
J’aimerais m’offrir le droit de rire
un travail où je me sente utile
Et une fruitière pour goûter à tous les fromages de la Terre
J’aimerais m’offrir de te bercer dans mes bras
une forêt de Brocéliande
Et tant de choses à l’avenir
J’aimerais m’offrir des Noëls comme avant
des retrouvailles avec mon frère et mes parents
Et un magasin de confiseries et des bisous de gamins tout sucrés
j’aimerais m’offrir de me pardonner
J’aimerais m’offrir à toi sans protection
J’aimerais m’offrir une famille qui ne me jugerait pas
J’aimerais m’offrir le mot «je t’aime»
J’aimerais m’offrir une nouvelle image de moi-même
J’aimerais m’offrir de ne plus regarder en arrière
J’aimerais m’offrir le mot «je t’aime»